L'auteur de la traversée de la Manche, amputé des 4 membres, n'a "jamais douté"
De Dephine PAYSANT (AFP) le 19 septembre 2010
LILLE — "Peu de gens pensaient que j'allais réussir, mais moi, je n'ai jamais douté", a confié à l'AFP Philippe Croizon, un homme amputé des quatre membres, qui vient de réussir la traversée de la Manche à la nage, annonçant que son prochain défi sera de "relier l'Europe à l'Afrique".
"Sur le moment, je n'ai pas réalisé que j'avais réussi. Ce n'est que hier soir, quand je me suis couché, que soudain, je me suis surpris à éclater de rire tout seul dans mon lit, en me disant + ça y est, tu l'as fait + ", explique Philippe Croizon, quelques heures après son exploit.
"Aujourd'hui, je suis perclu de courbatures, et je commence seulement à réagir à ce que j'ai fait, mais je suis l'homme le plus heureux du monde", raconte-t-il au téléphone, la voix remplie de joie et de fierté.
Cet homme de 42 ans, amputé des quatre membres en 1994 après avoir été terrassé par plusieurs décharges électriques de 20.000 volts alors qu'il démontait une antenne de télévision, a réussi à rallier samedi Folkestone (Grande-Bretagne) au Cap Gris-Nez (Pas-de-Calais, France) en 13H30 minutes.
Une performance sans précédent, pour lequel cet ancien ouvrier métallurgiste s'est entraîné pendant deux ans, jusqu'à 30 heures par semaine.
"Au départ, on devait me donner une cote de 90 contre 1. Peu de gens pensaient que j'allais réussir, mais moi, dans ma tête, je n'ai jamais douté. J'étais tellement prêt. Ca faisait 16 ans que je ne pensais qu'à cela", témoigne Philippe Croizon.
"En 1994, j'étais sur mon lit d'hopital, on venait de me couper ma dernière jambe. Vous imaginez ce que je pouvais ressentir. Et puis j'ai vu ce reportage télévisé sur une nageuse traversant la Manche. Et là, je me suis dit: +pourquoi pas moi un jour ?+ ", se rappelle-t-il.
Revenant sur sa course, M. Croizon explique qu'il a nagé beaucoup plus vite que prévu, lui qui tablait sur une traversée en 24 heures.
"Normalement, je devais partir avec des pulsations à 110-120, j'étais à 130-150 tout du long. A un moment, je me suis dit +Waouh, ralentis, jamais tu ne vas aller au bout à ce rythme-là+. J'ai voulu aller moins vite, mais je n'ai pas pu. Mes bras étaient partis, la machine était lancée", détaille-t-il.
"J'ai doublé des valides, c'était un truc énorme. J'étais dedans, je l'avais dans la tête. Je ne voulais surtout décevoir personne. (...) Et j'ai réussi cette traversée de la Manche en un temps record. Même moi, je n'en revenais pas quand je me suis assis sur ce rocher du Cap Gris-nez", explique-il.
"C'est une grosse émotion aujourd'hui. Je suis arrivé au bout de mon rêve. J'ai montré la voie. (...) Je voulais être un porte-flambeau pour tous ceux qui croient que la vie n'est que souffrances, et j'ai réussi à aller au-delà de tout ce que je pouvais espérer", déclare Philippe Croizon.
Mais déjà, l'homme pense à relever un prochain défi. "Maintenant que je sais nager, j'ai envie de faire un petit symbole: relier l'Europe au continent africain à la nage, sans doute l'été prochain", annonce-t-il.
---------------------------------------------------------------------
EXPLOITS REALISES PAR DES HANDICAPES
La traversée de la Manche à la nage effectuée par Philippe Croizon, un homme de 42 ans amputé des quatre membres, est la dernière d'une série d'exploits réalisés par des handicapés. Voici quelques précédentes performances de ce genre dans le monde:
- Un alpiniste américain unijambiste est parvenu en mai 1998 au sommet du Mont Everest au Népal, devenant le premier handicapé à réussir cet exploit. Tom Whittaker, 49 ans, accompagné de quatre sherpas, a atteint le plus haut sommet du monde à 8.848 m après huit heures d'ascension par la face sud-est. C'était sa troisième tentative.
Un autre Américain, Erik Weihenmayer, âgé de 32 ans, a lui aussi réussi l'ascension du "toit du monde", devenant en mai 2001 le premier alpiniste aveugle à atteindre le sommet.
En Europe, Siegfried Zumicker a été, en 1964, le premier aveugle à gravir le sommet du Mont-Blanc (4.807 m), accompagné de deux guides. Depuis, les exploits de ce genre effectués par des handicapés se sont multipliés dans cette ascension mythique.
- En mai 2007, un Français unijambiste Franck Bruno, adepte des aventures extrêmes, a mené à son terme une traversée d'Est en Ouest du Groenland sur 410 km, effectués à crampons et à ski au sein d'une équipe d'alpinistes valides. Un an plus tôt, il avait rallié le Pôle Nord, trois mois après un autre pari fou: la traversée de l'Atlantique à la rame, en duo avec un autre unijambiste Dominique Benassi.
- Un Français paraplégique, Antoine Aoun, a également plusieurs défis de ce genre à son actif: blessé par balles pendant la guerre du Liban en 1979, il a réalisé plusieurs périples dont la traversée de la France en fauteuil roulant, la traversée des Etats-Unis en tandem ou un tour d'Europe en hand-bike (vélo actionné à la main).
- Angela Madsen, une Américaine paraplégique de 46 ans et un Franck Festor, un Français de 36 ans amputé d'une jambe, ont bouclé en février 2008 la traversée de l'Atlantique à la rame. Seuls handicapés à concourir dans cette course transatlantique, ils sont arrivés en douzième position des 21 bateaux en compétition, à bord de leur yole de sept mètres de long.