Le chantier du «handicap invisible» pour les entreprises
LE FIGARO du 16 novembre 2010 Par Aude Seres
Environ 80% des personnes handicapées au travail ne souffrent pas d'une invalidité physique évidente pour leurs collègues. Certaines entreprises se lancent dans une course pour les détecter et respecter les quotas.
Dans la représentation collective du handicap s'impose le salarié en fauteuil roulant, ou malvoyant. Mais ces cas, pour emblématiques qu'ils soient et nécessitant une part importante d'adaptation pour les sociétés, ne représentent qu'une infime partie du handicap en entreprise. Quelque 80% des salariés handicapés en entreprise sont porteurs de handicap invisible. Il peut s'agir de maladies, comme des cancers ou des maladies cardio-vasculaires, de maladies invalidantes dues à des années de travail en situation de pénibilité, ou encore des maladies psychiques comme des dépressions.
De nombreuses sociétés se targuent, alors que s'est ouverte lundi la semaine des handicapés au travail, d'avoir des politiques très actives en la matière, tant en terme d'embauche que d'intégration. En ligne de mire: le quota de 6% de travailleurs handicapés qu'elles doivent respecter, au risque de devoir s'acquitter d'une amende versée à l'Agefiph. En 2009, l'Agefiph a ainsi récolté 735 millions d'euros et devrait réunir 530 millions d'euros en 2010. Le taux d'emploi n'est en moyenne que de 2,6%, selon les derniers chiffres de 2008. Parmi les entreprises de plus de 20 salariés, 54% atteignent le seuil des 6%.
Détecter les handicapés invisibles
Pour respecter les quotas, certaines sociétés ont tendance à détecter des handicapés invisibles déjà présents en leur sein. La médecine du travail joue un rôle de relais, avant transfert des dossiers aux commissions départementales des droits et d'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Plusieurs entreprises ont même des politiques très incitatives, voire agressives sur la détection du handicap invisible. Depuis la loi de 2005 sur le handicap, ces commissions ont vu le nombre de demandes augmenter, en particulier sur des maladies psychiques mais aussi sur d'autres pathologies. «Nous ne refusons que 5% des dossiers, explique Laurence Marin à la CDAPH des Yvelines, mais il est vrai que les cas donnant reconnaissance au statut de travailleur handicapé, inscrits dans un guide du barème médical, ont été largement élargis en 2005».
«Réticence»
Parfois, le problème est plus subtil. «Un travailleur handicapé n'est pas une personne handicapée», explique Patricia Charrier, à l'IMS-Entreprendre pour la Cité . Car, selon l'Agefiph (Association nationale pour la gestion du fonds d'insertion professionnelle des handicapés), en France, 5,5 millions d'actifs indiquent un problème de santé depuis plus de 6 mois et des difficultés importantes par rapport au travail. «Il existe un vrai besoin de reconnaissance de ces situations issues de la pénibilité au travail, note Perrine Piketty, directeur associé chez Atouts Handicap, qui conseille les entreprises dans leur stratégie en faveur du handicap. La reconnaissance de ces personnes n'est en rien un détournement de l'esprit de la loi! Mais l'adjectif de handicapé n'est pas facile à porter pour un salarié, il faut que l'entreprise agisse sur plusieurs leviers.»
De son côté, Nicolas, cadre dans la finance, porteur d'un handicap congénital qui ne le pénalise pas dans sa vie courante et professionnelle, se souvient: «Il y a quelques années, le médecin du travail m'a proposé de soumettre mon dossier pour obtenir le statut de travailleur handicapé, j'ai décliné car j'estimais que cette loi n'était pas faite pour moi!»
Autre difficulté de cette politique: «Il peut y avoir une certaine réticence de la part des salariés à se faire reconnaître handicapé, de peur de répercussions sur leur carrière ou le regard des collègues», souligne Alain Masson, responsable de la mission handicap chez Sodexho. Le chantier est encore long.
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